Du message à l’expérience
Nous vivons une époque formidable. On n’entend que « digital, digital, digital » partout alors que le digital est mort.
Derrière cette provocation se cache une réalité plus nuancée: depuis l’arrivée des smartphones et d’une bande passante mobile digne de ce nom, l’époque du digital en tant que discipline à part, demandant un développement spécifique, n’est plus. Le digital s’est infiltré dans toutes les disciplines de la communication et du marketing tout autant que dans nos propres vies. Le print est toujours là, mais différent, car il se consomme également sur des écrans. La télévision est encore présente, mais elle se regarde en parallèle avec d’autres supports. Les RP sont encore plus importants que par le passé, mais ne sont-ils pas des fois à la limite du community management? Si Don Draper était parachuté à notre époque, il ne reconnaîtrait qu’un quart des activités d’une agence, le digital est devenu le ciment qui lie tous les canaux de communication.
Dès lors, le travail des agences ne se limite plus seulement à délivrer le message juste sur des supports soigneusement sélectionnés, mais surtout à imaginer et développer une expérience autour d’un produit ou d’une marque. Nous agissons comme des ingénieurs qui vont imaginer et construire une machine constituée de leviers, de poussoirs, d’indicateurs lumineux et de jauges. Une fois cette machine rendue publique, chacun va se l’approprier et l’utiliser à sa manière. En restant dans le cadre de l’ingénierie, l’iPhone en est un parfait exemple: le mien ne ressemble pas au vôtre (j’ai d’autres applications, d’autres types d’alertes), mais cela reste à la base un iPhone comme les autres.
En comparaison, pour revenir dans le monde des agences, je citerai l’incroyable campagne #hibernot de Land Rover, un parfait exemple d’une expérience réussissant le pari de lier une marque à un concept générique, ici “l’hiver anglais”: chaque canal est traité avec ses spécificités en amplifiant les autres.
L’immense avantage d’une telle campagne (dont les composants digitaux ne sont pas une adaptation online d’un message, mais plutôt des démultiplicateurs de narration) est son caractère évolutif et non définitif, puisqu’il s’agit d’une expérience. Il est possible de la modifier, de l’ajuster et de l’affiner en “live” selon les réactions qu’elle provoque. Au départ, nous savons dans quelle direction doit aller une campagne, sans toutefois prévoir quel chemin précis elle fera dans les audiences.
De nos jours, c’est là que se trouve la valeur qu’une agence peut apporter à ses clients: trouver l’idée, la transformer en une expérience et avoir la capacité de la faire vivre à travers tous les canaux disponibles. Godard résume le cinéma au montage: la juxtaposition de deux images crée un sens et une vibration que chaque spectateur interprète à sa manière. De la même façon, en agence, nous allons essayer de créer une vibration entre une marque et son audience.
Dans un monde sur lequel règnent les datas, les outils de mesure et autres valeurs rationnelles et quantifiables, c’est cette vibration non maîtrisable qui va rendre une expérience inoubliable.
Chronique écrite par Marc Göhring, managing director Young&Rubicam Group Geneva